Dans le cadre de l’université de printemps du Benelux 2015 organisé par le Parti Socialiste
Commençons peut-être par une réponse scolaire et tranchée : institutionnellement, le Royaume-Uni n’est pas un pays laïc. En effet, depuis la réforme du XVIe siècle, le souverain Britannique est aussi le chef spirituel de la nation, gouverneur de l’église suprême d’Angleterre et défenseur de la foi. Le couronnement se fait toujours à l’abbaye de Westminster par le primat de l’église Anglicane : l’archevêque de Canterbury. En outre, 26 évêques siègent à la chambre des Lords.
En pratique, ces aspects font surtout partie du patrimoine spirituel de l’Angleterre plus qu’autre chose – la Reine n’intervient pas dans les affaires de l’Église comme elle n’intervient pas dans les décisions gouvernementales. Quant aux évêques siégeant à la chambre des Lords, ils ne peuvent influencer que marginalement les prises de décision, la chambre se composant de 779 sièges, laquelle ne pouvant pas s’opposer aux décisions prises par les parlementaires puisque la chambre des Communes a le dernier mot.
À l’usage, les Français à Londres ont souvent l’impression d’une plus grande tolérance qu’en France, où les minorités sont visibles et peuvent vivre pleinement leur culture, sans les stigmatisations régulières qui animent la France. En ressort un sentiment d’intégration plus fort, les apparences semblant plus apaisées, et ce également dans l’espace puisque la politique du logement britannique encourageait l’installation des logements sociaux jusque dans les quartiers les plus riches (pendant longtemps, un logement sur deux était destiné à abriter un logement social). Une situation surtout visible à Londres, cosmopolite.
Concernant le vivre ensemble, le modèle britannique est diamétralement opposé au modèle français à tous niveaux. Pour citer les éléments les plus visibles, le voile est autorisé dans tous les secteurs d’emploi. Dans l’espace public et au travail, les gens arborent des signes religieux (turban, voile, kippa) sans que cela ne dérange outre mesure.
En particulier, le Royaume-Uni continue d’imposer largement l’uniforme scolaire qui permet de gommer les différences sociales tout en s’adaptant aux populations : dans les quartiers où les populations musulmanes sont importantes, les écoles proposent souvent un uniforme adapté à ses communautés, tant que celui-ci respecte les couleurs de l’école.
Autre différence remarquable, les Britanniques ont aussi la possibilité de recenser les citoyens selon des critères ethniques et religieux. On peut également citer l’administration, qui met à disposition des administrés ses documents et formulaires officiels rédigés dans la langue de son choix.
Comment en est-on arrivé là ?
La Grande-Bretagne a connu depuis le siècle dernier une succession de cycles composés de trois phases:
- Manifestations et soulèvements des communautés,
- Restriction des politiques d’immigration,
- Développement de la politique d’intégration pour contrebalancer.

Après la seconde guerre mondiale, la Grande-Bretagne a ouvert ses portes et offert la nationalité à tous les ressortissants du Commonwealth. Ces populations n’étaient techniquement plus distinguées des populations nées en Grande-Bretagne en termes de droits. On a ensuite assisté à un durcissement des politiques d’immigration en parallèle avec un rejet des ressortissants du Commonwealth. Après des conflits raciaux critiquant l’arrivée de ces ressortissants, les restrictions se renforcent et se durcissent sauf pour le Canada, l’Australie et la Nouvelle Zélande – ce qui est une manière sans le dire de restreindre l’immigration aux populations blanches.
Pourtant, ces lois se sont toujours accompagnées d’une lutte contre les discriminations afin de favoriser l’intégration – voir schéma ci-dessus. Notons que contrairement à la France, la Grande-Bretagne n’a pas de point de vue idéologique sur la question, ne cherchant pas à tout prix à réaliser une assimilation républicaine forte et explicite. Le flegme et le pragmatisme anglais priment et il faut voir dans cet enchaînement de lois des réactions pratiques. Néanmoins cette politique est dorénavant largement remise en cause.
L’évènement sans précédent qui marquera cette rupture est certainement les protestations accompagnant la sortie des Versets Sataniques en 1989. Le roman fait référence à un épisode fictionnel de la vie de Mahomet. Le prophète aurait d’abord énoncé des versets autorisant d’autres divinités que le seul Dieu, avant de se rétracter. Pour cela, les musulmans rigoristes considèrent le livre comme blasphématoire. S’en suivent de violentes manifestations et une fatwa contre l’auteur Salman Rushdie.
Plus généralement, les musulmans vont émettre des réserves vis-à-vis de l’approche britannique, ne se considérant pas bien représentés, protégés dans leur culte par ce multiculturalisme.
En réponse, l’interculturalisme se développe très doucement. Il vise à resserrer les liens entre les communautés, mais surtout à définir des valeurs communes à partir desquelles l’on espère pouvoir bâtir une véritable intégration, plutôt que de continuer à miser exclusivement sur la différence. Sa mise en place progressive est observée concrètement.
Par exemple, à l’intention de la jeunesse, le gouvernement a introduit dans le cursus scolaire en 2002 une discipline nommée « citoyenneté ». Dans l’espoir de renforcer les symboles, une loi prévoit désormais des cérémonies et un serment lors de l’accès à la citoyenneté, suivant le modèle américain ou canadien. La langue devient une condition nécessaire à la réussite du test de citoyenneté. Ces dispositions préparent un socle minimum d’intégration culturelle.
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