Dans une tribune aux « Echos », Jezabel Couppey-Soubeyran, Aurore Lalucq et moi-même faisons la proposition, face à la multiplication des créances douteuses, d’une « cleaning bank » pour reprendre la main sur l’activité des banques pour mieux financer les PME et l’économie réelle. Notre texte initial ayant été coupé pour tenir le format de la maquette papier du journal, nous vous proposons ici le texte original, précisant la proposition et la manière dont elle pourrait évoluer pour gérer les stranded assets (actifs échoués) issus des financements des entreprises trop émettrices de CO2.
Problème d’hier au cœur de la crise financière, solution d’aujourd’hui ? Les banques sont le rouage privilégié par les autorités publiques, tant la BCE que les États, pour transmettre leurs politiques de soutien. Un pari risqué ! Car en dépit des signes de reprise, l’année 2020 sera celle d’une récession sans précédent et cela aura inévitablement des répercussions négatives au bilan des banques. Ceux-ci ont certes été rendus plus solides par les réformes post 2008, mais assurément pas au point d’affronter la crise actuelle. Si les prêts non performants s’accumulent et que la faillite menace plusieurs banques en même temps, les dispositifs mobilisables seront insuffisants. Comment les faire évoluer ?
Le Fonds monétaire international a récemment revu à la baisse ses perspectives de croissance pour l’économie mondiale. Le produit intérieur brut reculerait en 2020 de 8% dans les avancés, de 3% dans les pays émergents et en développement, et le rebond pourrait être fort en 2021 mais avec une incertitude au plus haut. Mécaniquement, les banques devraient en conséquence connaître des difficultés, des prêts non remboursés, des dévalorisations d’actifs, des pertes de marché qu’elles devront absorber. Si le niveau de leur fonds propres se révèle insuffisant, ce qui est loin d’être exclu, sachant qu’il suffirait que 21 % de 11700 milliards de prêts au bilan des banques de la zone euro ne soient pas remboursés pour épuiser totalement leur 2500 milliards de fonds propres (cf. CEPII – Policy Brief n° 32 FR – Mai 2020), alors les dispositifs de résolution seront mis à l’épreuve.
Cela commencera par la mise à contribution des créanciers (bail-in). Et cela fonctionnera sans doute si les difficultés se limitent à de petits établissements et que leurs créanciers appelés à prendre les pertes ne sont pas eux-mêmes en difficulté. Dans le cas de grands établissements, avec de plus lourdes pertes mécaniquement, se risquera-t-on à mobiliser des créanciers eux-mêmes potentiellement fragiles ? La question du caractère opérationnel du bail-in en cas de crise bancaire systémique, sinon étendue à plusieurs grands établissements reste entière. Le plus probable est que le fonds de résolution unique (FRU) sera rapidement appelé à l’aide, dès que les créanciers auront pris 8% des pertes, seuil minimal pour passer à cette étape. Mais très vite, les 50 milliards aujourd’hui disponibles du FRU se révéleront insuffisants. Le mécanisme européen de stabilité pourrait alors venir le compléter, mais avec au plus les 60 milliards de l’instrument direct de recapitalisation qui ne suffiront pas non plus.
Alors comment agir ? Faire l’autruche et pousser d’un cran supplémentaire la flexibilité prudentielle consistant à différer l’enregistrement des créances douteuses au bilan et à relâcher les exigences de fonds propres ? Cette option, qui est celle actuellement des autorités européennes, pourrait se révéler la pire, celle qui fera grossir l’armée de banques zombies. Ouvrir les yeux sur les dispositifs qui permettraient d’éviter un désastre systémique apparaît plus prudent. Mais alors quelles sont les possibilités ?
Il en existe au moins trois. La première consisterait à au moins doubler dès maintenant la dotation du fonds de résolution. Cela ferait reposer la charge sur les banques puisque ce sont elles qui contribuent au fonds. Cette première option s’inscrirait pleinement dans la logique du FRU qui était de responsabiliser les banques, mais l’exécuter dans le creux actuel pourrait accentuer les difficultés. Le seconde option consisterait à augmenter la capacité de l’instrument de recapitalisation bancaire du MES. Ce serait cependant une forme de retour au renflouement par les pouvoirs publics, une sorte de bail-out déguisé, alors que le FRU cherchait à mettre en avant le bail-in ? La troisième option serait celle d’une « cleaning bank » publique, qui permettrait d’effectuer un nettoyage conditionnel des bilans. Les nettoyages individuels prévus dans le cadre des plans de résolution seraient ici mutualisés au sein d’une structure dirigée par les pouvoirs publics. Celle-ci reprendrait les créances douteuses à plusieurs conditions : une réorientation stricte de l’activité des banques bénéficiaires vers le financement des PME, une réduction des activités de marché ne contribuant pas suffisamment au financement de l’économie, la suspension du versement de dividendes tout le temps de la défaisance, voire également des prises de participations publiques.
Ce dispositif viendrait compléter le dispositif de résolution existant et ne s’y substituerait évidemment pas. Il assainirait les bilans bancaires en profondeur tout en réorientant l’activité des banques vers ce qui fait sa raison d’être : le financement des entreprises les plus dépendantes du crédit bancaire. Cela stabiliserait le secteur bancaire, éloignerait la sombre perspective d’une nouvelle crise systémique, et contribuerait à ce que les banques soient de meilleurs relais de la politique monétaire.
En outre, ce dispositif pourrait par la suite évoluer et recueillir les actifs échoués issus des financements accordés à des entreprises trop fortement émettrices de CO2, qui vont, dans les prochaines années, perdre une grande partie de leur valeur, à mesure que l’on progressera dans la transition écologique. Cela éviterait de suspendre cette problématique à la bonne volonté des banques.
N’oublions pas que la crise sanitaire que nous traversons n’est peut-être qu’une des prémices de la crise environnementale à venir. Autant donc y voir de quoi forger les instruments qui permettront d’éviter le désastre climatique.

Votre commentaire